Si nous voyions entre elles les femmes dont nous avons fait notre idéal, devant lesquelles nous nous agenouillons, dont nous admirons l’esprit à la table à thé, dont nous retirons les petites pantoufles avec empressement ; si nous pouvions entendre ce qu’elles se disent, truffes noire lisse nous serions étonnés d’avoir dans le nez l’odeur du réséda ou de la violette, au lieu de l’odeur de notre cher tabac allemand, tant la conversation écoutée nous ferait souvenir du fumoir et de ses plaisanteries cyniques. Je viens de remarquer à table combien tu es imprudente. Notre monde d’aujourd’hui ne se laisse pas tromper, mais il est toujours prêt à reconnaître aux apparences la valeur de la réalité. Le général est, du moins, un homme, lui ; mais tous ceux qui se démènent autour de nos traînes visent à l’esprit, se vantent, nous adorent, chantent nos louanges, ne valent pas mieux que la poussière que nous soulevons. Je ne sais pas, fit-elle, si j’y regarderais à deux fois dans le cas où il serait possible à un homme de m’inspirer une grande passion ou même quelque intérêt ; mais en voyant de près les messieurs autour de nous… Qui se peut prendre de deux costez, Anceps.
Hanna appuyait les coudes sur ses genoux et le menton dans ses deux mains. Hanna plissa la lèvre inférieure avec un dédain qui lui seyait bien en ce moment. Encore bien parlé ! J’occupe à côté du général une place que bien des femmes m’envient ; la reine m’accorde sa confiance ; le bien-être, le luxe m’entourent ; j’ai un charmant enfant ; je pourrais jouer un rôle ; je pourrais me sentir heureuse, et… J’ai la conviction qu’il me manque quelque chose ; mais, j’ai beau réfléchir, je ne puis pas dire quel est ce quelque chose. Le monde ne dira jamais de toi que tout juste ce qui te plaira, si tu fais preuve d’un peu d’habileté ; sois prudente, souviens-toi de ta situation, aie soin de ne pas faire parler de toi, et tu auras conquis dans l’opinion publique une position inattaquable. Que dirait le monde ? Ni l’une ni l’autre ne se donnait la peine d’être vive, imposante, spirituelle, ou de feindre de toute autre manière. C’est juste le contraire de ce qui arrive pour la plupart des spectacles : le public peut subir l’illusion, mais les acteurs, eux, savent que la vie réelle est de l’autre côté de la rampe.
J’ai fait moi-même ma vie telle qu’elle est, telle que l’exigent mes désirs, mes besoins ; mais je commence à croire que jadis je ne me suis pas bien connue, ou que j’ai bien changé depuis lors. Tu ne veux pas me comprendre. Dès qu’on te parle d’une femme qui a un adorateur, fais comme si tu avais marché sur un serpent ; dès qu’une jeune fille qui a été séduite te salue, ne la reconnais pas ; va même jusqu’à ne jamais pardonner quand les autres excusent, et t’arrivât-il de changer d’amant comme de chapeau, ta vertu ne sera pas discutée. Enfermer sa vie, ainsi qu’une bête, dans cet étroit cercle des sens, rempli seulement de besoins et d’instincts, me paraît indigne d’une créature humaine. Il y a des natures faites d’une étoffe grossière, d’autres d’une étoffe plus fine. Dans ce tourbillon où les intérêts les plus opposés, les passions les plus folles luttent en paroles grossières les uns contre les autres, c’est à peine si quelques individualités restent debout.
Des pieds à peine on l’effleure. Micheline était étendue dans un fauteuil, les jambes allongées, les mains derrière la tête, et elle bâillait tellement que ses joues étaient toutes rouges, et que ses yeux ressemblaient à deux fentes noires. Elles ne différaient guère, assises comme elles l’étaient, de deux paysannes grossières ou de deux servantes trop libres, et tout ce qu’elles disaient avait un vilain son de crudité, de laisser-aller. Elles n’ont pas la force de mener une existence idéale, de renoncer aux biens matériels, au plaisir qui les attire, et leur conscience les empêche de trouver le bonheur dans cet égoïsme malpropre qui chante victoire sur les corps des ennemis tombés. Notre époque est très-matérialiste, répondit-elle après un moment de silence, et l’un de ses vilains traits caractéristiques est de mépriser tout ce qui ne se pèse pas, ne se compte pas. Ce trait est frappant dans toutes les sphères, dans toutes les classes ; partout on le retrouve marqué, chez l’homme d’État, le général, le savant et l’artiste. Gaule Lyonnaise, chez les Éduens, est auj. Châlon-sur-Saône. CARDIE, Cardia, auj. Karidia, v.